Allocution du Sous-secrétaire d’Etat Malinowski prononcée à la Conférence du Centre Africain pour la Justice

Merci à ABA ROLI et à l’ACJ de me permettre de me joindre à vous aujourd’hui. Beaucoup de dignitaires et de hauts responsables ont temporairement quitté leurs pays pour participer à cette conférence. Les ambassadeurs des Etats-Unis en RDC, en République du Congo et au Rwanda, et les ambassadeurs de France, du Royaume Uni et du Canada sont ici avec nous aujourd’hui. D’autres personnalités se sont aussi jointes à nous, notamment le Chef de la Mission de l’Union Européenne en RDC, le ministre du commerce de la RDC ainsi que le secrétaire-général et le directeur de cabinet du ministère de la justice de la république du Congo.

Il y a une raison précise pour laquelle trois ambassadeurs américains et moi-même avons voyagé jusqu’ici aujourd’hui, et ce n’est pas parce que j’ai toujours rêvé d’entendre Franco, Tabu Ley et Verkys jouer sur scène – mes amis congolais ne cessent de me rappeler qu’il est trop tard pour cela et ils se moquent de mon gout pour les morceaux du passé.

Nous sommes ici pour célébrer le lancement d’une initiative qui consiste essentiellement en un partenariat liant l’Amérique à des citoyens africains en vue de bâtir des sociétés plus justes où le droit est respecté.

Quand nous parlons des droits de l’homme et de la primauté du droit, ici ou ailleurs, nous nous focalisons souvent sur le droit de dire ou d’écrire ce que nous croyons, de soutenir les leaders et les partis politiques que nous aimons, de nous réunir pacifiquement et de faire toutes ces choses sans craindre d’être arrêtés, torturés ou tués.

Nous ne parlons pas assez du peu de choses que ces petites garanties juridiques signifient quand les institutions juridiques qui sont censées les appliquer sont absentes dans les communautés dans lesquelles la plupart des gens vivent ou quand ces institutions ne se sentent pas redevables envers ceux qui n’ont ni richesse ni pouvoir dans leurs sociétés. De même, quand nous parlons de développement économique en Afrique ou dans n’importe quelle partie du monde, nous faisons souvent référence à l’accès à l’eau potable, à la nourriture, aux moyens de subsistance, aux écoles, aux routes, aux ressources financières, et ainsi de suite.

Nous ne disons pas assez combien il est difficile d’avoir accès à toutes ces choses et de défendre cet accès, sans accéder effectivement à la justice – en l’absence d’institutions qui protègent le peuple quand les moyens de subsistance, les terres et les opportunités pour lesquelles il a consenti tant de sacrifices et versé tant de sueur sont confisquées par ceux qui détiennent plus de richesse ou de pouvoir.

Nous parlons souvent  — et malheureusement sommes obligés de parler – de la présence destructrice du gouvernement dans la vie des gens, quand les gouvernements violent les droits de l’homme. Nous ne parlons pas assez de l’absence destructrice du gouvernement dans la vie des gens, quand les institutions fondamentales censées garantir le fairplay et protéger les gens des actes de violence, de la corruption et de l’exploitation n’existent pas.

Dans un grand nombre de pays, l’accès à la justice est entravé par le nombre réduit de tribunaux et de professionnels du droit, par les longues distances entre les communautés et les institutions judiciaires, par la connaissance limitée du contenu des lois et par la corruption qui engendre la méfiance de notre système judiciaire.

Le Mali a, par exemple, 300 avocats pour une population de 15 millions d’habitants. La plupart d’entre eux vivent à Bamako, si bien que, malgré l’existence de lois prévoyant une assistance juridique gratuite, l’on a peu de chance d’y avoir accès si l’on est pauvre et que l’on vit en province.

Il y  a 200 avocats pour 12 millions d’habitants en Guinée, et seulement 120 auxiliaires de justice pour faire en sorte que les jugements des tribunaux soient appliqués, et la plupart d’entre eux exigent d’être payés en retour. Comme de coutume dans tous les cas axés sur la loi de l’offre et de la demande – quand il y a une forte demande pour un service rare, son prix grimpe. Quand on rend difficile l’accès à la justice, la justice s’achète et se vend.

C’est pourquoi nous soutenons le Centre Africain pour la Justice et les tribunaux mobiles, et je pense franchement que nous devrions faire davantage pour soutenir l’accès aux programmes de justice dans le monde entier.

C’est facile d’être pessimiste à l’égard de ce genre de programmes dans les pays dont les systèmes de justice sont faibles ou corrompus depuis longtemps, mais la nature interconnectée du monde moderne veut que même les gens vivant dans des endroits éloignés et pauvres aient une meilleure intelligence de leurs droits. S’ils voient un tort, ils demanderont que justice soit faite ; si un service d’aide judiciaire offre son aide, ils l’accepteront volontiers. Les crimes qui auraient été ignorés jadis sont maintenant jugés au sein des tribunaux locaux. Pas tout le temps, pas toujours aussi souvent qu’ils devraient l’être. Nous discernons toutefois un mouvement en Afrique et au-delà en faveur du développement judiciaire qui mérite notre soutien. Laissez-moi vous donner quelques exemples.

Mme L., veuve et mère de trois petites filles, s’est présentée au service d’aide judiciaire de ABA ROLI en RDC. Après le décès de son mari, sa belle-famille l’avait chassée de sa maison avec ses filles. Comme la plupart d’entre vous le savent, les coutumes locales refusent aux femmes les droits successoraux, mais Mme L. savait que c’était une mauvaise chose. Elle déclara au service d’aide judiciaire qu’ « On m’a dit qu’ici les femmes dont les droits ont été violés sont défendus ». Le personnel du service l’orienta vers les lois congolaises qui soutiennent un traitement égal pour les enfants, garçons et filles. Grâce au service d’aide judiciaire, Mme L. et ses filles purent rentrer chez elles.

En Ouganda, une veuve répondant au nom de Juliana fut attaquée à la machette parce qu’elle avait refusé de céder son terrain à un membre de sa famille. Cet homme soutenait que Juliana n’avait aucun droit sur le terrain disputé parce qu’elle était une femme – une terre sur laquelle elle avait pourtant vécu pendant des décennies et où elle avait enterré ses enfants et son mari. L’homme revenait sans cesse à la charge ; il commença même à construire une maison sur son terrain. Comment est-ce possible ? Parce qu’il n’avait aucune raison de respecter la loi ou de craindre les conséquences possibles de son comportement violent – jusqu’à ce qu’une ONG arrangeât un aide juridique pour Juliana et que son agresseur fusse condamné à six ans de prison.

Au Kenya, les citoyens ont longtemps souffert des abus de pouvoir de la police locale. Jusqu’à une époque récente, le Code de procédure pénale du Kenya autorisait la police a arrêter et emprisonner quelqu’un – sans preuves – jusqu’à ce que cette personne verse une caution marquant son engagement à « ne plus troubler l’ordre public », ce qui souvent équivalait à payer un pot-de-vin. Une ONG aida les citoyens à remettre en question la validité constitutionnelle de ces dispositions qui furent finalement abolies au mois de mars.

En Ouganda, une fois de plus, les habitants d’une petite ville étaient mécontents du fait que leur centre de santé recevait régulièrement des médicaments expirés, quand le ministère de la santé parvenait à en envoyer. Dans une région rurale, éloignée du district ou du gouvernement central, la population supposait qu’elle ne pouvait rien faire pour combattre la corruption qui causait ce grave problème. Mais les leaders de la communauté se rassemblèrent et décidèrent que ce n’était pas louable, que c’était injuste. Que firent-ils ? Ils créèrent des mécanismes afin que leur système de soins de santé soit contraint de rendre des comptes.

Ils surveillèrent de près quelques centres de santé locaux pour s’assurer qu’ils respectaient la politique de santé nationale—en vérifiant notamment si le personnel faisait payer des frais illégaux, si les médicaments essentiels étaient disponibles à la clinique (et non en train d’être vendus sur le marché noir) et si les infrastructures de base telles que l’eau courante et la réfrigération fonctionnaient. Ils élaborèrent des pactes avec le personnel de santé pour assurer une amélioration des prestations avec le temps. Les résultats furent importants. Un essai aléatoire et contrôlé révéla que l’utilisation des services de santé augmenta de 15% et que le taux de mortalité infantile baissa de 30%.

Il importe de garder à l’esprit que chaque fois qu’une personne pauvre, sans pouvoir et sans voix gagne une procédure contre un agresseur ou un exploiteur puissant, le récit de cette victoire se répand. D’autres personnes qui se croyaient impuissantes commencent à avoir confiance en elles-mêmes. Ceux qui pensaient pouvoir continuer à agresser et exploiter autrui impunément pensent à deux fois avant de le faire. On peut s’interroger sur le cout élevé lié à l’installation d’un service d’aide juridique dans un village et au travail, s’étendant sur plusieurs mois, visant à aider quelqu’un à réparer une injustice. Mais si l’on montre qu’on peut réaliser cela ne fut-ce qu’une fois, le système peut commencer à mieux fonctionner en faveur de tout le monde.

En RDC, beaucoup de gens connaissent le célèbre procès du haut gradé de l’armée qui fut accusé d’avoir participé à des viols collectifs en 2011. Ce que vous ignorez peut-être est qu’après l’annonce des condamnations, 86 victimes de différentes attaques se sont présentées pour témoigner contre leurs agresseurs. Trois semaines plus tard, onze autres officiers furent jugés et condamnés pour des viols collectifs commis en 2009 et le nombre de viols baissa dans la région.

Ceci est donc notre défi – faire en sorte que de plus en plus de gens qui ont été victimes d’injustices puissent bénéficier d’une aide afin de trouver réparation. De plus, avoir accès à la justice ne veut pas seulement dire avoir accès aux tribunaux ; cela implique un accès à l’information et aux services du gouvernement auprès d’un gouvernement attentif à leurs besoins.

Nous parlons ici de distribuer le pouvoir aux personnes les plus pauvres et les plus vulnérables de la société afin qu’elles puissent se tenir debout et prospérer, et non pas se borner à survivre.

J’aimerais, par ailleurs, évoquer une autre question qui ne fait peut-être pas partie de l’agenda de cette conférence mais qui est liée à nos objectifs. Je pense qu’il est très difficile de distribuer le pouvoir aux gens ordinaires dans une société donnée si le pouvoir dans cette société demeure concentrée entre les mains d’un seul parti ou d’un seul individu pendant longtemps. Je pense qu’il est difficile de bâtir une culture de respect de la loi pour les gens au bas de l’échelle si les personnes au sommet essaient de garder leurs postes même quand la loi ne les y autorise pas.

Ce problème existe dans un grand nombre de pays. Mais je crois qu’il est intéressant qu’à une époque où de plus en plus de citoyens africains veulent avoir accès à la justice et à une meilleure gouvernance dans leurs vies quotidiennes, ils disent aussi « c’en est assez ! » aux responsables qui s’accrochent au pouvoir malgré la limitation du nombre des mandats. Selon un sondage
d’ Afrobarometer, 84 pourcent des Africains soutiennent les élections libres et justes, 77 pourcent rejettent le règne des partis uniques, 72 pourcent croient que la démocratie est préférable à tout autre système de gouvernance et 74 pourcent ne veulent pas que leur président puisse rester au pouvoir durant plus de deux mandats consécutifs. Ce ne sont pas des données abstraites. Ce sont des chiffres écrasants et puissants qui reflètent les vraies opinions de millions de gens.

La limitation du nombre de mandats encourage les leaders à s’évertuer de laisser derrière eux un bon héritage politique, au lieu de perpétuer leur propre pouvoir – à titre d’exemple, un leader qui sait qu’il est appelé à quitter le pouvoir investira probablement dans le système judiciaire, dans les écoles et dans le système de santé au lieu de penser à créer une garde personnelle ou une police secrète. La limitation des mandats rend difficile l’édification de systèmes clientélistes et la corruption car elle garantit l’alternance politique, et elle donne à de nouvelles générations l’occasion de devenir à leur tour des leaders.

Cette dynamique peut être cyclique, et nous savons que les leaders qui s’accrochent au pouvoir utilisent toujours le butin de leur corruption pour acheter la loyauté et la complicité d’autrui pour les forcer à coopérer. Les efforts locaux visant à autonomiser les citoyens de manière à ce qu’ils décèlent et luttent contre les cas de corruption dans la police, au sein de leurs écoles et dans leurs vies quotidiennes frustrent les plans des personnes au pouvoir enclines à utiliser des systèmes déficients pour rester au pouvoir.

Aux Etats-Unis, nous avons eu un président qui a rempli quatre mandats. Beaucoup d’Américains pensaient à l’époque et pensent encore aujourd’hui que Franklin Delano Roosevelt a été l’un de nos plus grands présidents. Il nous a fait passer à travers la Grande Dépression ; il a inventé notre système de soins en faveur des pauvres et des personnes âgées ; et il a obtenu une grande victoire pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Pourtant, peu après sa mort à l’apogée de son pouvoir, nous avons amendé notre constitution pour faire en sorte qu’aucun autre président ne puisse rester au pouvoir si longtemps. Nous avons appris qu’il est dangereux de laisser un président occuper ses fonctions à vie, même s’il est aimé du peuple.

Cependant, certains leaders se laissent aisément convaincre qu’ils sont une exception à ce principe. Mais partout où ces cas se sont déclarés sur le continent, nous avons constaté que cela a engendré de la résistance et créé des conflits – parce que, je le souligne encore, même les gens qui sont disposés à apprécier ce que leurs leaders ont accompli par le passé disent maintenant que les constitutions et la loi doivent être respectées.

En essayant de gouverner indéfiniment, ces leaders ne parviennent en définitive qu’à rendre leurs pays ingouvernables – il y a une certaine ironie en ces choses ; car ces leaders finissent par compromettre leurs propres plans. Nous le constatons au Burundi. Nous ne voulons pas que ces choses se reproduisent ailleurs.

Les Etats-Unis continueront de soutenir les transferts de pouvoir démocratiques comme celui que la RDC se propose d’assurer en 2016. Nous nous opposerons aux actions des leaders, dans quelque partie du monde que ce soit, qui essaient de modifier leurs constitutions, ou de les ignorer, pour rester au pouvoir perpétuellement. Nous le ferons que nous ayons une relation étroite avec ce leaders ou non, ou que nous croyons qu’il ou qu’elle a bien travaillé ou non. L’ère des présidents à vie doit être révolue ici et partout ailleurs.

Ce qui nous ramène à notre thème principal. Nous voulons voir des systèmes de gouvernance et de justice qui se focalisent sur les citoyens, qui travaillent pour et autonomisent les couches les plus pauvres de la société, et non ceux qui possèdent déjà tout en abondance. Accomplir ces choses est une cause juste ; c’est aussi une démarche intelligente si l’on veut bâtir des sociétés paisibles, prospères et pacifiques.

Je vous remercie tous pour tout ce que vous faites pour promouvoir cet objectif ;  c’est un privilège pour moi et pour les Etats-Unis d’être à vos côtés.

Je saisis maintenant l’occasion qui m’est offerte de céder cette tribune à l’estimé Chef de cabinet adjoint du ministre de la justice, André Kalenga.